Un Nain délicat

En un Âge reculé, loin des guerres qui opposaient les derniers peuples libres aux forces du mal, un Nain naissait dans les profondeurs de la terre d'Erebor. Le clan des Frappefort était heureux d'accueillir un nouveau membre. Dori Ottardin avait un fils : le jeune Khadgar, dont la barbe naissante paraissait déjà imposante.

Khadgar grandit, il développa des traits de caractère très semblables aux siens : râleur, cinique et ironique à souhait, rancunier, fier et opiniâtre autant qu'on puisse l'imaginer, moqueur dès qu'il le pouvait, bref, un Nain dans sa toute belle splendeur. Autre point commun chez les Nains, qu'ils soient jeunes ou vieux, c'est le travail. L'excavation des mines, l'aménagement des tunnels, l'agrandissement des galeries... Ça on en bouffait tous les jours, qu'il pleut, qu'il neige ou qu'il vente. Si bien que notre ami commença à s'ennuyer ferme dans son trou. Oh bien sur, de temps en temps un petit duel à la pioche égayait la journée, presque autant que les parties de cache-cache interminables dans les gouffres et les puits. Mais Khadgar était trop fainéant pour abandonner son petit confort.

Et un soir, à l'issue d'un festin comme on en faisait régulièrement, pour des motifs insignifiants, son père, le brave Dori, décéda. D'aucuns affirmèrent qu'il était mort de honte après être tombé de sa chaise, mais l'hypothèse la plus probable est qu'il a certainement succombé à la morsure d’un Enfouisseur : une petite bestiole emmerdante qui se terre dans l’ombre des souterrains. Sa morsure est souvent mortelle, non pas qu’elle soit profonde, mais parce que l’enfouisseur trimbale toute une ribambelle de microbes qui se font un festin dans les plaies des mordus. D’ailleurs, quand 2 enfouisseurs se mordent mutuellement, il est rare d’en voir un survivre.

Bizarrement, après le décès de Dori, on changea le quotidien de Khadgar à la mine : il quitta les cavernes pour une affectation en surface, dans la prestigieuse « Garde de la Cité ». Il y effectua un service exemplaire, atteignant même le rang de Cogneur, un élément indispensable à la défense d’une place forte, dont la stratégie élaborée et optimisée consiste à se placer en première ligne pour foncer tête baissée dans les rangs ennemis. Khadgar resta longtemps à la Garde. Les années s’écoulèrent, il devint le vétéran de la garnison, et instructeur à ses heures perdues.

Khadgar avait une vision assez précise de ce que devait être l’instruction d’un jeune soldat. La recrue devait se soumettre, appliquer et respecter les consignes, sous peine de se prendre une magistrale mandale dans la tronche. Khadgar n’était d’ailleurs pas avare en distribution. En général, il était aisé de reconnaitre les troupes affectées auprès du Cogneur, c’étaient celles qui avaient le plus de marques de coups, et inversement le moins de dents dans la bouche. Les hématomes prenant une agréable et délicieuse couleur bleue-violacée, on appela ces guerriers novices les « bleus ». Il semblerait que cette expression soit restée encore de nos jours.

Pour égayer ses journées, Khadgar organisa des duels, ou plutôt des mises à mort. Ces combats opposaient généralement un nain à une créature, tel un gobelin, un orque ou un poulet. C'est à cette période que Khadgar fut surnommé "Main-de-Fer" en raison de sa capacité à ne jamais lâcher l'arme avec laquelle il combattait dans l'arène. Ça et puis à cause de la force qu'il mettait pour vous briser la paluche dès qu'il vous saluait. Bolki La-Ratiche déclara un jour « Dis donc Khad', ça fait sept fois que tu me dis bonjour aujourd'hui. T'es devenu sénile ou quoi ? » Ce à quoi Khadgar lui colla un sacré gnon en pleine poire, d'où le surnom de Bolki, qui correspond au nombre de dents qu'il lui resta dans la bouche après cette aventure.

Khadgar pris du poids, et son embonpoint était proportionnellement égal à son degré de « j'me fais chier ici ». Ce qui devait arriver arriva, il plaqua tout soudainement et quitta sa mine d'Erebor, non sans avoir au préalable rempli sa bourse hotte en pièce d'or directement puisées dans la cagnotte commune. Il subtilisa également une belle paire de chaussons rembourrés en fourrure de chamois, mais manque de bol, il s'empara à la va-vite de deux pieds gauche. Il faisait sombre dans le placard à chaussures...

Il quitta donc sa tanière, une main tenant fermement sa hotte-baluchon, l'autre enserrant le manche du Marteau de Bataille de la Fureur du Marchand de Sables de la Nuit Éternelle en Colère, qui accessoirement lui servait à défendre ce qu'il avait durement emprunté. Son départ se fit sans incident majeur, si l'on excepte les quelques rotules brisées chez des Nains intrépides qui auraient essayé de lui barrer la route, mais faute de témoin, on suppose plutôt que les-dits Nains soient tombés de vélo.

A la lumière du jour, Khadgar décida de planquer son butin. Une fois la chose faite, il gagna la première ville sous contrôle humain. Il s'installa provisoirement dans le quartier le plus animé, le plus vivant, le plus coloré, et le plus coupe-gorges aussi : le Bas-Quartier, qu'il pensa qu'il lui était destiné. Avec son matelas financier, il ouvrit une taverne : « Un demi bien rempli ». Personne ne s'est jamais amusé à lui demander si le demi faisait référence à la boisson, ou à lui. Le Marteau, toujours attaché à sa ceinture, jetait un regard noir aux plus curieux dont la question brulait les lèvres. Khad' assurait la comptabilité de son affaire. Cela ne fut pas très brillant. Il passa de nombreuses nuits à ne pas dormir, sa santé mentale en fut affectée. On le surprit plusieurs fois à se parler seul, ou à s'adresser à son Marteau, suivi d'une petite tape amicale sur la tête. Cette remarque divise d'ailleurs les chroniqueurs car autant on pouvait le juger sur le fait qu'il se parle à lui même, autant il valait mieux ne rien dire dans sa relation avec le Marteau. Car il est de notoriété publique que ce dernier avait effectivement un regard noir à faire pâlir le plus entreprenant des aventuriers.

Spoiler:

Inachevé...